– Michael !
– Oui, monsieur Brige ?
Dans une calèche, deux hommes se faisaient face, agacés par la pénibilité du trajet. Un garde du corps armé d’une armure souple et un homme richement habillé, à l’allure mi-noble mi-truand.
– Fais bien attention à tout ce qui va se passer. Ce dîner est une première et un certain nombre de gangs seront aussi présents.
– Depuis le temps que vous collaborez avec le Léviathan, ne pas vous recevoir en privé est extrêmement grossier.
Brige renifla d’un air arrogant.
– Effectivement, cet Auguste Ours se drape dans le mystère pour cacher sa couardise. Trop froussard pour se montrer aux gens seul, il espère que les différents groupes se surveillent mutuellement.
– Un tel individu devrait être honoré de travailler avec vous.
– N’abuse pas des compliments, Michael, et garde ces vérités pour toi, nous arrivons au lieu de rendez-vous.
– Que d’indications compliquées pour se rendre à un lieu perdu au milieu de nulle part, si le Léviathan n’était pas un groupe aussi profitable, je ne me prêterais pas à cette bouffonnerie !
Suivant les instructions, la carriole laissa les 2 hommes seuls dans une rue déserte, seulement éclairée par une lune blafarde.
– Monsieur Brige ! Restez derrière moi, des hommes approchent. Identifiez-vous !
Deux ombres sortirent de l’obscurité, et s’approchèrent des deux comparses sur leurs gardes. Ignorant les protestations du garde, les ombres tendirent la main silencieusement, comme si elles attendaient quelque chose en retour.
Brige attendit quelques secondes avant de poser son invitation dans la main de l’ombre la plus proche de lui. L’instant d’après, les individus lui tendirent deux foulards ainsi qu’une lettre puis disparurent comme ils étaient arrivés.
En lisant la lettre, Brige rougit de colère immédiatement, une grimace lui déformant le bas du visage.
– C’EST UNE PLAISANTERIE !
– Qu’y a-t-il, monsieur ?
– Ils veulent que l’on se couvre les yeux, le nez et les oreilles, et que l’on se fasse guider docilement.
– Pardon ! Monsieur, il se moque de nous ! rentrons ! Tout cela est méprisable.
Accompagné par les remarques de Michael, Brige finit de lire la lettre, ne sachant plus s’il devait être en colère ou épouvanté.
– Impossible ! La lettre stipule que toute collaboration cessera si nous refusons ces conditions.
– Monsieur !
– Silence ! Mets ce foutu foulard ! Cette insulte sera payée au cours du repas…
Tout en grommelant, les deux hommes se calmèrent pour plutôt s’inquiéter de leur situation.
Des mains les saisissent et les forcent à les suivre.
Se laissant guider, non sans râler tout le long du trajet, les deux hommes furent déplacés longuement, tantôt à pied, tantôt dans un véhicule qu’ils n’arrivaient pas à identifier. Leur trajet se finit lorsqu’on assit Brige dans un fauteuil confortable, avant de lui retirer son entrave sensorielle.

Assis devant une immense table, dans une salle plongée dans la pénombre, il observait ses compagnons de dîner, tout aussi incrédules que lui. Cette table réunissait 6 chefs de groupes plus ou moins malfamés et influents de la ville.
– Michael ?
– Je suis là, monsieur.
Rassuré sur sa sécurité, Brige s’enhardit :
– Je n’ai jamais été aussi humilié ! J’exige des excuses pour toute cette comédie.
Les invités se regardaient, inquiets, et discutaient avec leurs escortes, certains cherchant discrètement une sortie, d’autres jouant les gros durs pour impressionner leurs voisins et l’hôte du dîner.
– Ne soyez pas aussi bourru, monsieur Brige. Notre hôte ne ferait pas honneur à sa réputation sans tous ces mystères !
L’homme au visage rebondi continua son intervention.
– Nous devrions être honorés de pouvoir dîner avec l’Auguste Ours directement et plus avec ses intermédiaires. Pour un homme aussi mystérieux, qui dirige un groupe comme le Léviathan, tout ce petit test n’est même pas l’apéritif !
L’audience rigolait face à l’énervement de Brige, qui comptait bien faire valoir son honneur lors de ce dîner.
– Nous sommes pris pour des imbéciles, Gotier. Si vous défendez cette farce, c’est que vous n’êtes qu’un simple bouffon !
Coupant court à toute discussion, un individu masqué apparut et s’adressa aux invités.
– Je vous prie de pardonner notre hôte, celui-ci arrive bientôt. Quelques règles du dîner vous seront introduites, mais avant cela, si le maître a accepté que vous soyez accompagnés comme vous l’avez tous demandé, vos gardes du corps ne sont pas invités à la discussion. Toute intervention de leur part de quelque nature que ce soit ne saurait être tolérée. Je vous souhaite une excellente soirée.
En un instant, un majordome masqué apparut à côté de chaque invité, tirant leur compagnon derrière la chaise de leur maître. Les majordomes invitèrent les chefs à discuter entre eux, tout en les empêchant d’échanger le moindre mot avec leurs escortes. La discussion reprit timidement.
Soudain, la grande porte s’ouvrit, faisant place à l’hôte tant attendu de cette soirée. Une masse immense de plus de 2 mètres pénétra dans la pièce. Son costume d’un bleu sombre, impeccable, jurait avec l’énorme tête d’ours aux yeux luisants qui recouvrait toute sa tête. Le colosse prit place délicatement avant de s’adresser à son audience.
– Messieurs, c’est une joie de vous recevoir. Je suis navré de toute cette balade que je vous ai imposée, mais un peu d’exercice ne rendra le repas que plus fameux.
– C’est donc vous Auguste Ours ? Quel accoutrement bien étrange ! J’ose espérer que vous n’êtes pas encore un autre de ces intermédiaires farfelus, dit Brige d’un air moqueur, cachant à peine sa frustration.
– Je ne crois pas vous avoir donné la parole, monsieur Brige.
Avant même que celui-ci ne puisse rétorquer, Auguste Ours reprit :
– … mais votre intervention arrive à point nommé, je vais pouvoir vous annoncer les règles de bienséance à respecter pour toute la durée de ce dîner, alors je vous prierais de bien m’écouter en silence.
Auguste Ours finit sa phrase en fixant Brige, qui était visiblement agacé mais resta silencieux.
Après quelques lourdes secondes, Auguste Ours reprit.
– Pour la tranquillité du repas, toute personne voulant prendre la parole doit demander à son majordome attitré de se faire annoncer. Par ailleurs, chaque majordome est à votre entière disposition pour quoi que ce soit lors de votre repas. Mon chef a préparé un ensemble de plats uniques à chacun d’entre vous, en suivant l’ensemble de vos préférences culinaires ; cela a demandé des efforts pour connaître tous vos goûts personnels et les préparer, je vous prierais donc de finir tous vos plats. J’ai horreur du gâchis. Enfin, interdiction de quitter la table avant la fin du dîner. Nous sommes des gens civilisés et polis, agissons comme tels. Je vous souhaite donc à tous un excellent dîner !
Les invités gardaient le silence alors que leurs majordomes apportaient devant eux le premier plat.
Brige fulminait, prêt à demander à se faire « annoncer » pour enfin dire ce qu’il pensait de toute cette scène.
– Messieurs, bon appétit ! souhaita l’hôte à ses invités en faisant un petit signe aux majordomes.
Les majordomes soulevèrent les couvercles, exposant à Brige le plat spécial qu’Auguste Ours lui avait préparé.
– Michael ?
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