Après avoir précédemment parlé du Dragon et de la Magie, deux des plus grandes constantes de la fantasy, nous allons aborder un sujet légèrement moins spécifique dans ce troisième article de la série, mais tout aussi intrinsèquement lié au genre : toute la faune (mais aussi parfois la flore, bien qu’il s’agisse là d’un domaine plus difficile à aborder pour un auteur) spécifique à un univers imaginé de toute pièce.
Les mythes Grecs et Nordiques sont sans doute ceux qui ont eu le plus d’influence sur la fantasy telle qu’on la conçoit en Occident et il s’agit de deux cultures extrêmement riches en animaux fantastiques et plus grands que nature. Il n’est donc pas surprenant de retrouver moult variantes des créatures ayant peuplé l’imaginaire de nos ancêtres dans les œuvres de fantasy contemporaines. Que ce soient les sirènes, les chevaux ailés, les hommes à tête de taureaux, les loups monstrueux, les chiens à trois têtes, les serpents cauchemardesques, les lutins, les farfadets et autres elfes ou korrigans, les parallèles entre les anciennes mythologies et la fantasy moderne sont légion.
Et, une fois de plus, il va être impossible d’aborder de tels sujets sans mentionner l’influence d’un certain John R. R. Tolkien.
Le père de la fantasy a ouvert la voie et montré l’exemple en faisant de ses créatures des peuples à part entière. Que ce soient les elfes ou les nains (deux peuples directement inspirés de la culture Nordique), les orcs et les gobelins, les hobbits et les trolls, les dragons et les araignées, les Ainurs et les Valars, Tolkien les a tous dotés de civilisations abouties, d’histoires entremêlées, de tensions et de rivalités ancestrales, de mœurs et de coutumes d’une profondeur rare et le tout évoluant dans un écosystème riche et complexe à l’échelle de tout un monde.
C’est ce qui fait la richesse de son récit et justifie l’impact qu’il a encore aujourd’hui. On ne compte plus dans le paysage fantasy les œuvres mettant en scènes les mêmes elfes et les mêmes nains que Tolkien et les histoires utilisant les gobelins ou les orcs comme antagonistes sanguinaires par défaut.
Bref avertissement : l’exercice de catégorisation auquel je vais désormais me prêter ici est totalement arbitraire et subjectif. La fantasy étant un genre qui, de par sa propre nature, encourage la création totale et l’inventivité absolue, il est très difficile de classer et catégoriser les œuvres dans des boîtes toutes faites. Je vais néanmoins vous proposer ici une classification de mon cru du bestiaire de la fantasy en trois grandes catégories afin d’y voir plus clair sur comment les créatures imaginaires peuvent influencer un récit : le prédateur bestial et animal, l’être évolué et civilisé et enfin la créature fabuleuse et féerique.
Le prédateur bestial et animal
La première, la créature sauvage et animale fait souvent écho à certaines peurs primales ancrées chez l’être humain. Ce dernier, désormais au sommet de la chaîne alimentaire sur notre bonne vieille planète, ne connait plus de prédateur naturel, et lui en créer un dans un monde de fantasy permet de jouer sur ces peurs oubliées. Mais pas que. Il peut tout autant s’agir d’un miroir que d’une peur atavique. Dans sa thèse sur la Bête dans la Littérature Fantastique, J. William Cally affirme qu’elle est symbolique de pulsions bestiales refoulées par l’homme :
Aussi la bête fantastique nous mène-t-elle, inéluctablement, du fait de sa provenance imaginaire et fantasmatique, vers les notions de la psychanalyse. Cristallisation de notre angoisse de l’altérité et de la bestialité, elle incarne le « faciès carnassier » d’un refoulé faisant son retour à la surface. Elle ouvre, de manière ostentatoire, l’homme sur les potentialités terrifiantes de son dedans, de son être intime.
Qu’elle soit là pour terroriser et rappeler à l’être humain qu’il n’est pas le maître incontesté de la terre qu’il occupe ou afin de confronter les personnages à leurs démons intérieurs, à leur propre sauvagerie et à leur bestialité refoulée, le genre foisonne de ces créatures cauchemardesques hantant les forêts profondes, les sommets inaccessibles, les cavernes les plus profondes ou les marécages les plus infects : trolls sanguinaires, ogres carnassiers, loups gigantesques, krakens monstrueux et autres démons en tous genres, ceux-ci iront insuffler une aura de danger constant sur l’histoire, faisant souvent ressortir le pire ou le meilleur sommeillant au plus profond des personnages. Ce qui est une dynamique de récit incroyablement forte et ayant donné certaines des scènes les plus marquantes, les plus viscérales du genre.
L’être évolué et civilisé
Puis il y a les autres : les êtres évolués aux cultures et mœurs élaborées et sophistiquées. La plupart des peuplades chez Tolkien disposent de leur propre civilisation : que ce soient les elfes, les nains ou même les orcs, il ne s’agit pas de simples animaux mais d’êtres intelligents à part entière.
Il est intéressant de voir comment ces êtres sont devenus un moyen de représenter l’autre. L’autre culture, l’étranger et ses valeurs à lui. Là où le prédateur animal sera surtout une figure de menace ou de sauvagerie pure et bestiale, ces civilisations viennent faire appel à d’autres impressions, d’autres émotions chez les personnages ou encore le lecteur. La crainte et la méfiance de l’autre en sont les principales. Chez Tolkien, encore une fois, beaucoup des éléments du récit découlent des tensions et incompréhensions entre différents peuples. Les nains crachent sur les elfes (certes, c’est un peu plus compliqué que ça, il s’agit surtout de certaines tribus naines haïssant une certaine peuplade elfique, mais on ne va pas réécrire le Silmarillion ici), les hommes, arrogants et vains, sont jaloux des richesses d’autrui, les orcs veulent imposer leur culture et les elfes ne se sentent plus à leur place sur ce monde qu’ils dominaient autrefois (encore une fois, ce sont de grossières simplifications afin de donner une vague idée des enjeux profonds et complexes créés par Tolkien).
Cette scène est l’une des scènes les plus marquantes de la trilogie mettant en scène les tensions entre différentes races (ici, la méfiance entre les hommes envers les elfes). Méfiance qui sera bien vite mise de côté lorsque les deux peuples n’auront d’autre choix que de se battre côte à côte.
Ces tendances sont reprises dans la majeure partie des œuvres de fantasy mettant en scène différentes races. La crainte de l’autre, tout comme la crainte du prédateur, fait intrinsèquement partie de l’être humain et les auteurs de fantasy jouent très souvent sur celle-ci pour développer les dynamiques de leurs personnages. Que l’auteur s’inspire directement des peuples crées par Tolkien ou qu’il en invente des nouveaux, l’être humain est rarement seul maître de son monde dans les univers de fantasy. Bien souvent, il va côtoyer des civilisations évoluées très différentes de la sienne, qu’elles lui soient cousines et similaires ou totalement étrangères et incompréhensibles, il s’agit encore une fois de créer un monde vaste et complexe dans lequel nous, simples êtres humains, ne sommes pas (ou plus) au sommet. Et encore une fois, de telles implications ouvrent la porte à de nombreuses dynamiques de récit propres à la fantasy. Cela s’applique aussi au space-opera et ses civilisations extra-terrestres, il s’agit ici de l’un des parallèles les plus évidents entre les deux genres : l’être humain jeté à bas de son piédestal.
La créature fabuleuse et féérique
Enfin, le troisième type de créature rencontré dans la fantasy est l’être féérique et fabuleux. Ne rentrant ni dans la catégorie de l’animal sauvage ni dans celle de la civilisation complète, de nature généralement bonne et bienfaisante, ces êtres sont souvent rares et dotés de propriétés magiques. Vivant souvent en retrait du monde, ne se mêlant pas de ses affaires, elles ont une dimension supérieure et elles interviendront généralement aux heures les plus sombres pour apporter aide et assistance aux protagonistes. Ou inversement. Il peut arriver que ces créatures fantasmagoriques (même pour les personnages évoluant dans un monde de fantasy) soient des forces chaotiques et destructrices (certains dragons entrent dans cette catégorie) mais c’est généralement bien plus rare.
Ces êtres ont souvent une dimension plus symbolique et métaphorique qu’une réelle identité en tant que personnages à part entière. Ce qui ne les empêche pas d’avoir un réel impact sur le récit. Mais encore une fois, il faut prendre tout ça avec des pincettes : les exceptions sont légion et jouer de ces codes fait partie du charme d’un récit et de la personnalité de l’auteur.
Ces créatures symbolisent souvent une puissance quasi-divine et vertigineuse. Il arrive souvent qu’elles soient là soit en tant que gardiens de l’équilibre du monde soit en tant qu’espèce merveilleuse disparaissant peu à peu face aux ténèbres et à la décadence grandissante qui peuplent les récits de fantasy. Souvent victimes malgré leurs grands pouvoirs, ces licornes, phénix, griffons et autres fées représentent souvent la pureté en perdition d’un monde en proie à des temps sombres.
Parmi les trois catégories citées ici, il s’agit sans doute de celle dont il est le plus difficile de parler tant la fonction de ces êtres est intimement liée à l’univers dans lequel ils évoluent. Ils peuvent tout aussi bien être l’objectif final d’une quête que ceux qui vont lancer le héros sur son chemin. Mais ils peuvent être aussi l’ange gardien protecteur qui interviendra lors d’un deus ex machina tel que la rencontre fortuite et ponctuelle qui transcendera et changera profondément la nature d’un personnage.
Alors, avez-vous hâte de découvrir le bestiaire de l’univers de 3ème Aube ? Quelques éléments ont déjà été présentés sur le blog : les Loups-garous, un peuple intelligent, le Corbeau de l’Apocalypse qui est un oiseau mythique, et un élément de la flore (on pourrait dire ça comme ça), le Champignon des Cimes.
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1 reply on “Icônes de la fantasy – bestiaire”
J’ai hâte de voir le bestiaire de 3ème Aube au complet et dans ses moindres détails