En France, la littérature est souvent sujette à débats enflammés, les livres sont parfois même sacralisés à l’excès. Mais savez-vous comment les livres sont fabriqués, édités, diffusés ?
Cet article est à destination de toutes les personnes qui souhaitent comprendre dans les grandes lignes le parcours sinueux du livre, du manuscrit à sa mise à disposition en librairie (et à votre table de chevet).
Création du texte que l’on va publier
Dans la partie création, on retrouve bien sûr les auteur·trices, sans qui il n’y aurait pas de manuscrits, mais aussi, selon les cas, traducteur·trices, illustrateur·trices, scénaristes, photographes… (et j’en oublie obligatoirement beaucoup !)
Focus métier : Auteur·trice
Contrairement à l’image trop souvent répandue de l’activité passion, écrire est bel et bien un métier ! Il n’existe pas de formation pour l’exercer (on a vu toutefois quelques masters d’écriture apparaître en France ces dernières années), mais ce n’en est pas moins une profession comme une autre. Avant de proposer un manuscrit à une maison d’édition, il y a évidemment l’écriture du texte, mais souvent aussi tout un travail de recherche d’informations, de relectures, de réécritures, etc.
Pourtant, l’immense majorité des « plumes » sont en situation de grande précarité et beaucoup sont contraint·es d’exercer un autre métier à côté, rendant leur situation d’autant plus compliquée que l’exercice d’un travail « alimentaire » rogne fortement sur leur temps de travail d’écriture.
La rémunération se fait en droits d’auteur (un pourcentage sur le prix de vente hors taxe du livre), qui sont censés s’élever à 8 % en moyenne, en réalité on se rapproche souvent des 5 %, en particulier en BD et en jeunesse.
L’auteur·trice perçoit parfois un à-valoir, c’est-à-dire une avance de ses droits d’auteur calculée sur la moitié du tirage présumé de l’ouvrage. De quoi être smicard·e, mais juste un mois, quoi (entre 1 000 et 3 000 € en moyenne)…
En revanche, les droits moraux et patrimoniaux liés aux œuvres sont extrêmement bien protégés par le Code de la propriété intellectuelle français (https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGITEXT000006069414).
Protéger les textes à tout prix, pendant que les écrivain·es crèvent la gueule ouverte, ça fait réfléchir…
Édition d’un ouvrage
Cette partie est la plus lourde. Les maisons d’édition reçoivent des montagnes de manuscrits et doivent opérer une sélection cohérente avec leur ligne éditoriale. La maison d’édition est un peu l’axe central où tous les chemins se rejoignent.
Je pourrais vous écraser sous une tonne de chiffres qui montreraient par exemple le déséquilibre entre les grandes maisons parisiennes qui monopolisent le marché et la quantité de maisons indépendantes et à taille humaine qui existent. Je ne le ferai pas. Si vous voulez des stats, allez voir les chiffres rapportés par le SNE (le « syndicat » national – très parisien – de l’édition), ils en ont plein !
Livres Hebdo publie également un planisphère de l’édition française tous les ans, si vous souhaitez savoir comment les groupes éditoriaux se répartissent tout ça.
Une notion qui ressort sans arrêt est celle du « risque éditorial ».
En effet, qu’est-ce qui nous dit que le manuscrit sur lequel on parie va plaire ? Rien ?
En réalité, si on exclut toutes les publications qui se reposent sur des sujets ayant déjà du succès (entre autres les nombreuses publications sur les people), la figure de l’incollable de la littérature (ce qui peut être le cas) qui prend tous les risques pour ses « petit·es protégé·es » est assez fausse. La plupart des maisons d’édition, et paradoxalement surtout celles avec les plus gros chiffres d’affaires, utilisent les retombées de leurs autrices et auteurs à succès… pour financer toutes leurs autres « prises de risque ». Pas méchante la prise de risque…
Il ne faut pourtant pas passer à côté de l’aspect commercial de toute maison d’édition ! Même les maisons d’édition 100 % indépendantes, qui n’hésitent pas à se mettre dans le rouge pour leur catalogue, ont des frais et des dettes. Peut-être qu’elles ne pratiqueront pas la même forme d’hypocrisie que les grosses, mais elles devront faire des choix, qui sont au cœur du métier d’éditeur·trice :
- Est-ce que c’est le bon moment pour sortir tel titre ?
- Combien peut-on avoir de titres différents dans le catalogue sans se ruiner mais en ayant une visibilité ?
- Combien de tirages doit-on faire en restant réaliste ?
- Y a-t-il une vraie originalité, est-ce un sujet de « niche » ?
Toutes ces questions ne sont qu’un morceau de la patate chaude qu’est l’édition !
Focus métier : Éditeur·trice
C’est une profession qui implique d’être en lien avec tou·tes les intervenant·es : maquette, correction, cession de droits, fabrication, impression, marketing, etc.
C’est surtout un métier multicasquette : veille, élaboration du rétroplanning et d’un chemin de fer, rédaction des quatrièmes de couverture, d’argumentaires de vente et de communiqués de presse, pointage de corrections, gestion des contrats et des cessions de droits, fiches de coût propres à chaque publication…
C’est une activité sous pression car on a la charge de veiller au respect des délais (et quand on connaît la machine de l’intérieur, on sait que ces délais ne sont quasiment jamais respectés).
Pour un petit aperçu des coulisses de ce métier :
Fabrication d’un livre
La « fab », pour les gens du métier, c’est tout l’aspect technique associé à la réalisation concrète d’un livre imprimé en tant qu’objet physique.
Une fois le texte maquetté (en très très simplifié : mis en forme) et qu’on valide le « BAT » (bon à tirer), qui signifie que c’est le rendu final avant l’impression, il faut organiser l’impression de l’ouvrage, c’est ça, la fabrication.
L’impression, quant à elle, ne consiste pas à simplement appuyer sur un petit bouton ! Comme vous avez pu le voir pour l’impression des jeux de société dans notre vidéo :
On peut distinguer 3 étapes dans l’impression Offset (attention, il y a plein de techniques d’impression différentes, bien que celle-ci soit actuellement la plus courante, c’est loin d’être la seule !) :
1) La prépresse : C’est tout ce qui vient avant les machines. C’est notamment à ce moment-là qu’intervient l’imposition (le plan qui permet d’organiser les plis pour former les cahiers).
2) L’impression : Un conducteur va procéder au « calage » (les réglages de la machine Offset) et contrôler les encriers. C’est un travail de contrôle minutieux et constant tout au long de l’impression.
3) Le façonnage : Il comprend le massicotage, l’assemblage des cahiers, suivis de la pose de la couverture, et de toutes les petites finitions (marquage à chaud, gaufrage, reliure cousue, brochée, « dos carré collé »…).
Focus métier : Chargé·e de fabrication
Là encore, c’est un métier qui demande des compétences variées.
Il y a une forte part commerciale, car, pour faire court, l’objectif est d’en faire le plus au moins cher. Il faut négocier pour le papier, pour l’impression, etc.
Mais avant cela, vous devez suivre le livre pendant tout son parcours éditorial, de façon à conseiller l’éditeur ou l’éditrice sur toutes les orientations à prendre sur les aspects très techniques, d’autant plus à l’approche du BAT. Les fichiers numériques sont-ils exploitables ? Les images ont-elles des problèmes de définition ? Il faut orienter sur le choix du type de papier (couché, non couché, satiné, bouffant…) et les finitions (voir le « façonnage »).
La validation du BAT peut parfois même se faire directement dans une imprimerie.
Il y a donc tout un aspect très pointu sur la réalisation et l’impression de l’ouvrage à maîtriser, mais aussi la gestion des coûts, des délais, ou la logistique à prendre en compte (et là encore c’est souvent le rush !).
Diffusion / Distribution
On associe très facilement les deux, notamment parce que les entreprises qui s’en chargent font parfois les deux.
La diffusion, c’est la promotion du livre auprès des libraires. Elle est assurée par des représentant·es, quand ce n’est pas de l’autodiffusion, un mode de diffusion beaucoup plus rare. C’est le moment critique où votre catalogue va être présenté aux libraires lors d’un rendez-vous rapide à l’issue duquel ils choisiront de les commander ou non.
La distribution, c’est la partie purement logistique. Il n’y a pas une concurrence démentielle, Hachette, la Sodis et Interforum concentrent l’essentiel de l’offre. Les livres sont stockés dans des entrepôts. Le rôle de la distribution est de gérer leur acheminement, les stocks, et le transport vers les points de vente, mais aussi les réassorts et les retours d’invendus.
Focus métier : Représentant·e
C’est un métier où il vaut mieux être véhiculé. En règle générale, vous êtes en charge d’une zone géographique relativement large.
Votre rôle est de promouvoir les catalogues de diverses maisons d’édition auprès d’un grand nombre de librairies de votre secteur. Certaines grosses maisons d’édition ont leurs propres équipes qui ne s’occupent que de leur catalogue, mais ce cas reste minoritaire pour l’ensemble de la profession.
Encore une fois, même si vous voyez du pays, ce n’est pas une activité de tout repos ! Démarcher de nouvelles librairies est une part non négligeable du métier, d’une part ; d’autre part, l’exercice de promotion d’un catalogue ou d’un titre est particulièrement éprouvant. En effet, vous disposez de très peu de temps pour faire votre présentation aux libraires, et toute la difficulté est dans la capacité à faire ressortir un titre ou un catalogue du lot, car les libraires se noient parmi les grandes quantités d’ouvrages auxquels leur métier les confronte (et vous n’êtes pas le seul à leur présenter votre large catalogue).
C’est une profession qui n’est pas forcément bien vue de l’extérieur, parce que réputée « déshumanisante » (c’est la course !), mais cela tient au cœur du métier, qui implique un vrai sens du contact humain.
Librairie ou bibliothèque ?
Les points de vente
Librairies de 1er niveau, de 2e niveau ou de 3e niveau ; grandes surfaces spécialisées (GSS), espaces culturels, maisons de la presse, vente en ligne… les livres ne se vendent (malheureusement) pas que dans votre librairie de quartier ! Alors comment font les librairies indépendantes pour exister ?
Le moment est venu d’évoquer une loi qui a bouleversé l’ensemble de la chaîne du livre, plutôt en bien : la loi Lang de 1981 fixe un « prix unique » du livre. Cette loi, qui était une réponse à la concurrence déloyale de la Fnac par rapport aux petites librairies, a permis notamment de limiter la remise (pas plus de 5 %) exercée par les points de vente, dans le but de garantir une vraie diversité éditoriale et un réseau fort de librairies indépendantes.
Bon, on ne va pas se le cacher, libraire n’est pas un métier facile pour autant.
Il faut de solides notions de gestion d’entreprise, une connaissance pointue de l’offre éditoriale, s’occuper des réassorts et des retours, porter sans cesse des cartons (et oui, c’est physique !), rentrer les titres dans la base de données, organiser les rayons, mettre en place des événements (comme les dédicaces)… et c’est surtout un vrai sens du relationnel.
Ce qui va différencier une librairie indépendante d’un espace culturel de supermarché, c’est le rôle de conseil, proche des besoins de chaque lecteur ou lectrice. Une bonne dose d’empathie, donc !
Vidéo sur la réalité du métier de libraire : https://vimeo.com/51746516
Petit + : Des libraires ont engagé depuis plusieurs semaines sous l’appellation « Book Bloc » une lutte inédite née de la contestation contre la réforme des retraites, soutenus par d’autres secteurs du livre qui les ont rejoints.
https://actualitte.com/article/110460/politique-publique/retraites-mobilises-des-libraires-souhaitent-construire-dans-la-duree
Le prêt
Les bibliothèques sont souvent les grandes oubliées de la chaîne du livre, quelle erreur ! La majorité des bibliothèques sont des bibliothèques publiques, donc gérées par les communes. Elles assurent leur mission de service public en adaptant leurs demandes (auprès des libraires notamment) aux attentes de leur public et en rendant la littérature accessible à de nombreuses personnes.
Le droit de prêt est institué par la loi du 18 juin 2003 et régi par la Sofia. Cette loi vise à rémunérer justement les auteur·trices et éditeur·trices pour leurs publications, en effet d’après le site de la Sofia « La rémunération pour le prêt des livres, au bénéfice de leurs auteurs et de leurs éditeurs, est financée en partie par l’État et en partie par les ventes de livres aux bibliothèques. ».
Pour en savoir plus :
Et voilà tout le chemin que votre livre a parcouru avant que vous le choisissiez sur l’étagère de votre librairie de quartier et qu’il devienne votre nouveau livre de chevet ! Si vous souhaitez vous lancer dans une de ces carrières passionnantes, j’espère que cet article vous aura donné envie de faire partie de cette grande chaîne du livre.
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