Ah les héros de Shōnen ! Ces jeunes garçons sans parents mais avec la volonté farouche de changer le monde ! J’avais beau être le cul collé au banc d’école sur lequel mes parents m’avaient envoyée, je m’identifiais à eux. Leur persévérance était la mienne. Leur combativité me donnait l’énergie pour me lever et affronter les autres. Leurs quêtes m’ont envoyée au bout du monde. On dit bien que les voyages forment la jeunesse. D’ailleurs mes héros revenaient toujours victorieux et rassérénés. Ils rendaient leurs armes, protégeaient un village et fondaient une famille.
Et j’étais toujours un peu déçue : moi j’avais besoin de leurs peurs et de leurs rages pour sublimer les miennes.
Mais le pire, c’est que maintenant, j’ai atteint la fin de mon propre Shōnen.
J’ai 30 ans. Même leurs mentors sont plus jeunes.
Et c’est là que l’on voit que le plus irréaliste, ce n’est pas la sorcellerie, le jujitsu ou l’alchimie !
Je vous le dis d’expérience : les voyages ne forment pas la jeunesse, ils la déforment.
J’ai eu pendant mes années d’études et de voyages l’impression de me préparer à quelque chose.
C’était exaltant !
Et parfaitement à côté de la plaque !
Les techniques les plus ardues qui nécessitent des années d’apprentissage, sont généralement maitrisées par nos petits génies après un ou deux chapitres. Moi, à chaque fois que je me remets au sport, j’attrape dans le mois un mal de dos ou un rhume, puis au final je mets le sport en pause parce qu’il faut bien que je fasse mon taf et que j’ai pas assez d’énergie pour tout.
Résultat des courses : après un an, je suis toujours débutante, j’apprends toujours les pas de bases et je m’ennuie toujours à faire les mêmes exercices en boucle faute de pouvoir avancer.
Avez-vous aussi remarqué à quel point les aventures sont denses et rapidement réglées ? Nos héros courent un bon coup à travers le monde, et après un an, tout se résout en quelques minutes dans le cataclysme final !
Et après ? Ils boivent du thé. Moi après six mois à Madagascar, je suis montée dans un avion pour un vol ennuyeux de 12h avec un sac à dos plein de recherches inachevées et une crise de manque d’adrénaline. M’attendait à mon retour un choc des cultures (dans l’autre sens), des mois de gratte papier et aucune reconnaissance pour mon travail. Je n’avais rien changé sur l’île, et je peinais à voir en quoi je m’étais améliorée. Je ne buvais pas de thé, je rongeais mon frein en espérant repartir.
Les kilomètres parcourus m’ont renvoyée sur une chaise de bureau, plus agitée que jamais.
Et aucun maître d’art martial ou chamane ne m’a préparée. Savoir garder son calme face à un danger de mort ne vous prépare en rien au stress d’une boîte mail débordante ! Le premier stress est court et se règle grâce à une activité physique intense. Le second est récurrent, vous cloue sur place et vous use à petite dose avant même que le corps ait eu le temps de réagir.
Et puis dans les Shōnen, à la fin de chaque année, à chaque Némésis combattue, on a une pause.
On fait un bilan avant de passer au niveau suivant. On acquiert de l’expérience, pour combattre ensuite un ennemi encore plus ardu !
Dans mon quotidien, j’acquiers de la routine. Et puis je recommence. Je prends même pas de grade, je change juste d’entreprise : je remets les compteurs à zéro et je reprends mon statut de débutante. Mais dans la vraie vie, les problèmes ne se classent pas gentiment par ordre croissant. Rien ne m’avait préparé à mes études et celles-ci ne me servent à rien. Et en parallèle, il est aussi attendu de moi que je remplisse ma feuille d’impôts ; que je gère mes comptes, prêts et investissements ; que je m’engage dans la vie associative, politique, ou communautaire, que je tienne ma maison, sois aimable avec ma famille et fasse des gosses, s’il vous plait ! Se concentrer sur le sauvetage du monde me semble moins complexe…
Le plus frustrant est donc que non seulement je n’ai pas changé le monde pendant ma jeunesse, mais je n’arrive pas non plus à la cheville de mes héros lors du retour à la vie normale.
Fonder une famille ? Servir de mentor ?
No pressure !
Mais voilà, je n’ai pas ramené de mes voyages qu’un appel du vide immense et une déprime lancinante. Bien au fond de mon sac à dos, j’ai aussi des miettes de confiance en moi et ma vieille persévérance bien tassée.
Bien sûr, la situation qui se présente à moi est nouvelle, et je ne suis absolument pas outillée pour y faire face. Mais ce n’est pas la première fois que je me retrouve exposée, naïve et démunie face à l’inconnu. J’ai vécu là où d’autres ne s’aventurent pas. Je m’aventurerai là où d’autres vivent.
Et même si je suis souvent frustrée d’avoir troqué mes aventures contre une vie bien rangée, je le sens grandir en moi, ce sentiment qu’il faut construire le royaume des cieux là où nous sommes.
Mon but, mon combat, mon courage : je les avais cherchés partout et voilà que je les trouve dans mon jardin. Alors je vais faire ce que je sais faire de mieux. Je vais essayer, me casser la gueule et me relever. Je vais remuer ciel et terre et dans ce terreau fertile, je regarderai pousser l’arbre de ma vie !
Quelques références citées ou évoquées dans ce texte :
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