Découvrez les deux premières parties de cette histoire dans ces articles :
Depuis le début de la soirée, l’odeur du fer commençait à imprégner la salle faiblement éclairée. Exposés gracieusement comme des œuvres d’art, les cadavres des invités postés à leur place respective autour de la table à l’exception d’un homme qui, à ce moment précis, aurait souhaité que la soirée soit finie pour lui aussi. Dans ce tableau, seulement deux personnes étaient encore conscientes.
– Le dîner vous a plu ? Il m’a fallu beaucoup de travail pour vous offrir cette mise en scène.
Le géant affublé de sa tête d’ours fixait son dernier invité. Cachant du mieux qu’il pouvait sa nervosité, Okk dégustait le digestif que lui avait servi son hôte.
– Je ne suis pas digne de tels efforts, dire que vous m’avez impressionné serait trop faible pour le spectacle que vous avez préparé. Si vous ne m’aviez pas assuré de mon intégrité pour la durée de ce dîner, j’aurais sûrement mal digéré le repas.
– Je suis un homme de parole, toute la réputation du Léviathan repose sur le respect de nos engagements.
– Ne redoutez-vous pas les retombées de cette soirée ?
– Aucunement ! Leurs postes ont déjà été négociés et remplacés avant même le début de ce dîner. Tous ces individus étaient remplaçables et sans danger pour nous. Je vous l’ai dit, toute cette soirée a été organisée uniquement pour vous donner un aperçu de ce que nous rejoindre implique.
Okk n’était pas le collaborateur le plus ancien ni le plus fidèle à travailler avec le Léviathan.
Comme beaucoup, il ne se contentait pas d’échanger des informations et des services avec l’organisation qui, au fil du temps, commençait à avoir la mainmise sur un type de produits bien spécifique. Et le nom « Auguste Ours » suivait toujours les agissements de cette organisation. Entre fable et vérité, personne ne savait si ce mystérieux chef existait ou était un simple homme de paille.
Quelle ne fut pas la surprise d’Okk lorsque cet individu lui avait proposé de travailler directement pour lui après un dîner en tête à tête !
– Je suis flatté de tous vos efforts pour m’impressionner. Cependant, collaborer plus étroitement avec vous est très risqué par rapport à ma position. Pour un homme aussi prompt au secret que vous, j’ai besoin de garantir que nous puissions nous faire confiance mutuellement.
Okk était serein, il savait la valeur de son poste et ce que pourrait en faire le Léviathan. De plus, sa sécurité lui avait été garantie, et il était de notoriété publique que le respect des promesses et des contrats était la première règle du Léviathan.
– Mon cher hôte, je pense donc qu’après quelques négociations nous pourrons signer un accord qui nous satisfera tous deux.
Plein de confiance, Okk attendit la réponse d’Auguste Ours.
Un silence gênant s’installa au fur à mesure que les secondes se transformaient en minutes.
– Monsieur ? demanda enfin Okk, ne supportant plus le silence imposé son hôte.
Subitement, la porte s’ouvrit, laissant entrer les majordomes avec le cadavre écorché de Zarok, parfaitement rhabillé après les supplices qu’il avait subi. Après l’avoir installé sur sa chaise restée vide, ils repartirent aussitôt avec les derniers couverts, laissant la table vide.
– Eh bien ! Voilà qui conclut ce dîner. J’annonce à tous la fin de cette fabuleuse soirée !
Alors qu’il se retournait pour faire face à Okk, l’ambiance de la salle changea subitement, en même temps que le ton bienveillant de son hôte.
– Il n’y a pas de discussion ou de négociation, vous acceptez mon offre ou vous la refusez. Vous devriez déjà me remercier que je vous laisse le choix de refuser. Il ne vous arrivera rien, j’ai encore des principes ! Vous pourrez même continuer à utiliser nos services comme si cette soirée n’avait jamais eu lieu.
Anxieux, Okk pesait bien la signification de chaque mot qu’il s’apprêtait à prononcer.
– Si nous pouvons parler avec franchise de ce que vous m’avez montré lors de cette soirée, je vois bien que vous pouvez m’éliminer sans trop d’efforts… comment est-ce que je peux vous faire confiance sur un choix aussi important pour moi que pour vous ?
Okk crut déceler un sourire sur la tête d’ours inanimée, avant que celui-ci n’éclate d’un rire tonitruant.
– La confiance ? À votre âge, vous croyez encore en ces balivernes ? J’exècre la confiance. Que ce soit en la loyauté, l’amour ou l’amitié ! Même les choses tangibles comme la confiance en l’argent, le pouvoir ou le fameux intérêt commun ne sont que de l’esbroufe destinée à vous tromper ! Je n’ai confiance qu’en une seule chose…
Auguste Ours laissa tomber sa main lourdement sur la table, laissant sur celle-ci un doigt amputé orné d’une bague finement décorée.
– Une seule chose : ça !
Okk reconnut tout de suite la bague de sa maîtresse. D’abord perturbé que son secret ait été découvert, il essayait de se rassurer. Cette bague avait pour particularité de réagir si quelque chose arrivait à son porteur, faisant réagir la bague que lui-même portait. Instinctivement, il toucha sa propre bague pour y injecter du vahal, avant de voir avec terreur la bague devant lui réagir et l’informer de son authenticité.
– VOILÀ ! C’est ce visage déformé par la peur en lequel j’ai confiance.
Rapidement, la peur d’Okk se mut en colère, mais avant de pouvoir la faire exploser, d’étranges brumes commencèrent à déformer la pièce autour de lui.
– Je vous prie de ne pas chercher à transformer votre peur. Acceptez-la ! Laissez-la vous envahir !
Les sens d’Okk étaient sens dessus dessous. Des haut-le-cœur le prirent violemment et sa vision fut envahie par un mélange de lignes déformées. Seule la silhouette d’Auguste Ours restait claire dans ces visions grotesques.
– Il n’y a rien que je souhaite de vous si ce n’est l’exclusivité et le monopole de votre peur.
Laissez-moi en prendre possession et vous ne craindrez rien ni personne, si ce n’est la sonorité de mon nom ! Plus la peur que je vous procure sera grande, plus le monde vous craindra en retour, voici la bénédiction que je vous offre. Ne faites confiance qu’à votre peur et jouissez d’une vie libérée de toutes les entraves que l’on vous a imposées.
Okk, ne sachant pas s’il était encore sur sa chaise ou écroulé sur le sol, fixait Auguste Ours qui le surplombait, recouvrant l’espace autour de lui. Apeuré, effrayé, terrifié, ce moment marquait son esprit au fer rouge.
– Trois jours ! Je garde votre peur pendant trois jours ! Profitez de ma bénédiction pendant ce laps de temps. Dans trois jours, j’attendrai votre réponse.
Le corps du colosse fondit brutalement sur lui, brûlant chaque pore de sa peau, provoquant une souffrance qu’il n’avait jamais connue.

Okk se réveilla brutalement dans son lit, trempé par la sueur. À ses côtés, sa maîtresse brutalement réveillée par ses cris le regardait, inquiète. Sa main posée sur son buste était intacte et arborait la bague, comme un jour normal.
– Chéri, respirez calmement, vous avez encore fait un cauchemar.
Okk se leva pour se scruter devant le miroir, afin de s’assurer qu’il était bien indemne.
– Je suis désolé, Lucy, la soirée a été très mouvementée, je ne sais même pas comment je suis revenu auprès de vous !
Ne comprenant pas tout de suite les mots de son amant, Lucy devint encore plus inquiète.
– La soirée ? Mais chéri, vous êtes encore perturbé, c’était il y a trois jours !
– Pardon ? Trois jours !
– Mais bien sûr ! Depuis vous enchaînez les actions téméraires, rappelez-vous ! Le lendemain de cette fameuse soirée, vous avez violemment lynché votre collègue qui vous rendait la vie dure au travail ! Vous avez eu de la chance que le directeur ait laissé couler cette affaire, un autre aurait été renvoyé. Et hier vous avez insisté pour que nous allions au théâtre, ratant exprès l’anniversaire de votre femme ! Vous qui cachiez notre relation hardiment, on dirait que vous n’avez plus peur que votre femme soit au courant.
Okk resta un moment à écouter son amante, son esprit s’éclaircissant, il se rappelait effectivement les tours de force qu’il avait fait ces derniers jours.
– Je suis navré, ma chère, pour ces derniers jours, j’étais possédé par un diable, mais tout ira pour le mieux maintenant.
Rassurée, Lucy se leva pour quitter la pièce.
– Eh bien ! Vous qui êtes si réservé et si alerte, vous voir déborder d’assurance et de hardiesse ne m’a pas non plus déplu. Je vais aller faire couler un bain, rejoignez-moi, que je vous nettoie toute cette sueur !
Seul dans la pièce, Okk scrutait son reflet, qui depuis son réveil affichait un visage souriant, presque gênant. Son esprit enfin clair, il murmura instinctivement les mots qu’il refusait de prononcer depuis 3 jours.
– J’accepte.
Le bruit d’un objet roulant au sol se fit entendre derrière lui. Se retournant, il vit une griffe dénudée de bonne taille bouger légèrement, avec son nom écrit sur celle-ci.
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