Ordre 2012- 92 Voyage au Sud de la Vivaldie- 5ème semaine en Forêt
Voilà des semaines que je m’enfonce avec moult précautions dans la forêt du Sud. Je suis encore bien loin d’avoir parcouru la moitié de cette mer végétale. Depuis ce matin, j’ai l’impression de progresser dans une pénombre plus intense encore. La végétation se fait plus importante, mais ce n’est pas tout. J’ai observé une forme particulière de chancre au faîte des arbres. Des boursouflures monstrueuses qui privent la végétation de sous-bois d’un peu plus de lumière, ressource déjà rare sous les feuillages de ces arbres ancestraux.
Soyons honnêtes…je ne dois la vie qu’au hasard des choses et à ma bonne fortune. En écartant les dernières palmes vertes – ces plantes utilisées par certains villages pour leurs vertus anabolisantes – je déclenchais la fuite d’une biche cornée. Voulant sans doute se réfugier là où je ne l’importunerai plus, je vis du coin de l’œil sa robe tachetée s’élancer à l’opposé de ma direction. Je la suivis -la viande est une ressource dont je commence à manquer, et les lanières séchées n’ont pas la même saveur que de la viande fraîche. J’espérais tomber sur une piste que je puisse suivre.
Il n’en était rien. Le couvert se réduit brutalement à une végétation herbeuse, adaptée au camouflage de bien des espèces -je soupçonne des ophidiens et arthropodes peu engageants, mais également leurs proies favorites, les lagomorphes et lagopèdes, peut-être même des insectes comestibles. La biche bondissante s’apprêtait à quitter cette tache ouverte lorsqu’elle sembla mystérieusement foudroyée par un éclair invisible. Je songeais d’abord à un serpent, conformément aux hypothèses qui m’étaient apparues face à la végétation. L’efficacité du venin incroyable me fit remettre en doute cette idée. Prenant d’incroyables précautions, je décidais d’approcher en suivant la piste ouverte par la biche dans les hauts carex – la viande ne saurait être consommée, dans le doute, mais une connaissance vaut bien de perdre quelques dizaines de minutes !
Je ne constatais aucune trace de morsure aux pattes, aucun point sanguin mystérieux… Les symptômes étaient cependant flagrants : les muscles crispés, les yeux exorbités et le cou et les pattes presque cassées sous la contraction des muscles. Une mort violente, mais rapide. Je me relevais, prêt à regagner le couvert, finalement presque rassurant…
De l’autre côté, je me retournais afin de guetter un prédateur quelconque que l’odeur de la biche attirerait. Je ne vis que deux lianes descendre des cimes au-dessus de la biche. Interloqué, je plissais les yeux. Les lianes se tordaient, pivotaient, comme des tentacules à la recherche d’un objet, descendant d’un de ces champignon des cimes. Ayant atteint leur objectif – la biche, selon toute vraisemblance, ils semblèrent s’immobiliser et j’entendis des bruits de succions discrets tandis que je voyais remonter des sortes de boules le long de ces lianes. Je m’approchais pour y voir mieux ; je m’arrêtais en voyant tomber presque sous mon nez une sorte de voile semi-transparent, très fin -suffisamment pour être porté par le vent. Je reculais et faisait taire ma curiosité. Nul doute selon moi que ce voile avait joué un rôle crucial dans la fin tragique du cervidé. Dans une dernière velléité expérimentale, j’arrachais une touffe de ces longs carex pour titiller le voile, en fait constitué de fils fins et translucides -je ne les voyais plus à un bras de distance. N’obtenant -heureusement- aucune réaction, je fis marche arrière avant de m’engager, avec plus encore de prudence, sous les frondaisons basses.
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2 replies on “Carnet de voyage en 3ème Aube – le Champignon des cimes”
Des champignons, ma foi, fort sympathique ! L’idée de faire mouvoir les lianes sortant des champignons rappelant vaguement Alien est fort chouette.
J’aime beaucoup ce petit champignon ; je l’imagine sans mal intégré à une partie de jeu de rôle. Peut être même que certaines peuplades pourraient se faire une spécialité de s’en servir comme piège naturel ? Il me fait en tout cas beaucoup penser aux créatures et plantes complètement folles de l’univers des Chroniques du bout du monde (de Paul Stewart et Chris Riddell) (et c’est plutôt positif).