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Date : 1 février 2021

Tropes narratifs 2 – Dystopies

Suite à mon dernier article (que vous pouvez retrouver ici) qui ne faisait qu’effleurer la surface du sujet, il me semble que l’idée de dédier une série entière aux tropes narratifs, afin d’explorer plus en profondeur le domaine, est des plus pertinentes.

Cependant, et comme vous vous en doutez très probablement, il s’agit d’un sujet extrêmement vaste et varié. Et sans un minimum de structure on ne fera que s’éparpiller dans toutes les directions. Je vous propose donc de nous attarder sur un genre narratif bien particulier pour chacun des articles qui viendront compléter cette série.

Et pour commencer, et sans faire trainer le suspens… vu qu’après tout, le titre vous a déjà divulgaché le sujet du jour (oui, « divulgacher », un autre mot pour dire « spoiler », qui, parait-il est très employé au Québec – ce qui, de mon expérience dans la Belle-Province, est plutôt faux… ils disaient bel et bien « spoiler » aussi là-bas, hein !). Bref, je m’égare, elle est belle la structuration dont je parlais quelques lignes plus haut, je disais donc… Aujourd’hui, la Dystopie…

Big Brother is watching you (Big Brother te regarde)
Big Brother (1984), sans doute l’icône absolue de la dystopie.

Qu’est-ce qu’une dystopie ?

Faisons les choses méthodiquement et allons chercher la définition du Larousse :

Dystopie (nom féminin) : Société imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste, telle que la conçoit un auteur donné.

Wikipedia nous propose également une étymologie du mot, ce qui permet de clarifier encore un peu plus ce dont nous parlons :

« Le mot dystopie vient de l’anglais dystopia, qui a été formé par l’association du préfixe dys- et du radical d’origine grecque, topos « lieu ».

Cette association a été conçue pour rappeler le terme utopie, auquel il s’oppose. Le préfixe dys- est emprunté au grec dus-, et signifie « négation », « malformation », « mauvais », « erroné », « difficile ». Il a surtout une valeur péjorative. Il s’oppose ainsi clairement au préfixe eu- « heureux » que Thomas More avait en vue lorsqu’il a forgé le mot utopia (« Utopia » constitue en effet une sorte de jeu de mots : la prononciation anglaise de l’époque ne distingue pas la prononciation des préfixes eu- « heureux » et ou’- « négation », « inexistence »). L’utopie est donc étymologiquement un lieu heureux et un lieu inexistant). D’un point de vue étymologique, dystopie signifie donc « mauvais lieu », « lieu néfaste », un lieu en tout cas connoté négativement.

La première utilisation du terme dystopia est habituellement attribuée à John Stuart Mill, dans un discours de 1868 au parlement britannique. »

Bref… en d’autres mots, plus simples et plus évocateurs, une dystopie c’est une société (généralement futuriste) qui pue.

Sous-genre de l’anticipation, elle-même sous-genre de la science-fiction, la dystopie est un genre narratif riche en réflexions sur l’humanité, ses dérives, ses paradoxes, son avenir, etc. Ce qui ne l’empêche pas, à l’instar de tous les autres genres narratifs de la création, d’être elle aussi sujette à tout un tas de tropes, de stéréotypes et de lieux communs bien à elle. Je vous propose donc d’aller en explorer les principaux du genre tout en les accompagnant d’exemples afin de les illustrer de la manière la plus claire possible.


Image du film V pour Vendetta
Le film (et le comic original) V pour Vendetta est peut-être l’une des œuvres réunissant le plus des tropes dont je vais parler ici, ce qui n’empêche pas le récit d’être passionnant.

Les tropes courants utilisés dans les dystopies

Le Grand Méchant Gouvernement


Bon, est-ce qu’on peut parler de trope quand il s’agit de l’essence même du genre ? Nuançons tout de même : il ne s’agit pas nécessairement d’un gouvernement à proprement dit à chaque fois, mais la figure de l’institution surpuissante dominant tous les aspects de la vie, reste un must du genre.

Cette institution peut être représentée sous différentes formes : une corporation (Blade Runner, Robocop, Soleil Vert, Akira, Continuum…), un envahisseur venu d’ailleurs (Colony, Dark City, Starship Troopers – quoique là, c’est un peu plus subtil), une intelligence artificielle (Terminator, Matrix…), un système politique (attention, la liste va être longue : 1984, V pour Vendetta, Juge Dredd, Hunger Games, Equillibrium, Brazil, Bienvenue à Gattaca, THX 138, Divergente, Le Meilleur des Mondes…) ou tout simplement une catastrophe économique ou écologique remodelant la société (Les Fils de l’Homme, l’Armée des 12 Singes, La Route, Mad Max…). À noter cependant que ce dernier point peut également s’apparenter au post-apo (d’ailleurs, ça pourrait être un sujet de réflexion, ça : les post-apos sont-ils des dystopies ?). Et en parlant de post-apo, tiens, un petit trope de la dystopie en plus : le prologue qui explique comment le monde en est arrivé là.

L’imagerie totalitaire


Dans la continuité du point précédent, les auteurs de dystopie aiment à évoquer les imageries des régimes les plus autoritaires de l’histoire humaine pour illustrer et souligner la « méchanceté » du système : par les uniformes militaires, les symboles censés unifier le peuple, les campagnes de propagande (affiches, spots publicitaires…), le vocabulaire employé, …

Il suffit de jeter un coup d’œil à certains visuels de V pour Vendetta ou 1984 (l’un des plus grands classiques du genre) pour s’en rendre compte. Dans la lignée d’une pareille imagerie, on peut aussi brièvement mentionner que le totalitarisme dans les dystopies s’exprime également via la suppression des individualités au profit de la masse : soyez des fourmis, travaillez bien, ne faites pas de vagues, ne sortez pas du rang, … À l’instar de nombreux régimes ayant réellement existé, les figures d’autorité dans les dystopies aiment bien quand tout le monde rentre dans le moule et n’est qu’une copie-conforme de son voisin.

Le monde entier semble avoir oublié le concept de couleurs


Après tout, il ne faut pas oublier qu’on est en plein dans les heures sombres de l’espèce humaine, et il faut que la colorimétrie du récit en rende compte (bon, ok, c’est un point qui s’illustre plus facilement en films et séries TV que dans un bouquin, en effet). Tout est gris, noir, blanc, bleu terne, vert crade, … Ou à l’inverse, tout est blanc terne, beige pâle ou bleu clinique afin de transmettre un sentiment lisse, plat, morose et monotone où tout est censé être tout beau tout propre mais où le bonheur n’éclot jamais.

On pourra particulièrement citer des œuvres telles que Dark City, Snowpiercer, Metropolis, Altered Carbon et tant d’autres pour le premier et Minority Report, Equilibrium, Continuum, Electric Dreams, The Handmaid’s Tale ou encore certains épisodes de Black Mirror pour le second.

L’agenda de l’auteur


Là, on tape dans une réflexion un peu plus méta (c’est-à-dire en rapport à la construction de l’œuvre et ce qui se passe en coulisse dans la tête de l’auteur). Généralement, ce dernier à un message à faire passer, il n’écrit pas dans un vacuum. Le message peut varier selon les œuvres, mais il est difficile de faire de la science-fiction sans engagement (il s’agit après tout, par essence, d’une réflexion sur notre avenir) et c’est encore plus marqué dans la dystopie. Que ce soit pour critiquer le marché capitaliste, la religion, la suppression des libertés individuelles, la déshumanisation des institutions, … Tout dépend de comment c’est raconté, mais, aux yeux de votre serviteur écrivant ces lignes, les dystopies les plus barbantes sont généralement celles où il n’y a aucune subtilité dans la manière de faire passer le message. Là, je pense notamment aux œuvres YA (Young Adult) du genre Hunger Games ou Divergente, comme s’il fallait marteler son propos pour que les jeunes lecteurs et spectateurs le comprennent.

Le protagoniste est un rebelle dans l’âme depuis sa plus tendre enfance…


Un autre trope assez agaçant dans les univers de dystopie destinés aux jeunes adultes : le héros (ou protagoniste) est conscient des dérives du système dans lequel il vit depuis son enfance, elle (ou il) a toujours été le mouton noir de son village/ville/canton/immeuble/whatever… C’est elle (ou lui) la seule à voir ce qui ne va pas : encore une fois, prenons Hunger Games, le Labyrinthe ou Divergente comme exemples.


… ou à l’inverse, tout va changer du tout au tout en quelques instants pour notre héros

et on est d’accord que c’est plus intéressant non ?

Oui, il s’agit d’un trope assez commun, mais encore une fois assez inhérent au genre (sinon, on n’a pas d’histoire) : le personnage commence comme un simple rouage dans le système, aveugle et inconscient de la réalité de son monde… jusqu’à ce qu’il découvre ou tombe sur quelque chose qui fait voler ses certitudes en éclat et le lance sur la voie de la rébellion, ou du moins de la prise de conscience des dérives de la société autour de lui.

Les exemples sont ici aussi légion, alors contentons nous d’en lister certains des plus parlants : Les Fils de l’Homme, Brazil, 1984, Fahrenheit 451, Soleil Vert, Blade Runner, …

T’façon l’espèce humaine c’est caca et on ferait mieux de tous crever


Eh oui, la dystopie est un genre extrêmement cynique, défaitiste et désabusé. Certes, plusieurs œuvres vont amener une lueur d’espoir en fin de récit, souvent via le protagoniste qui a atteint un certain stade de… pouvoir ? d’influence ? de contrôle ? Et on le laissera là, face à la tâche vertigineuse de changer le système après lui être rentré dedans, accompagné de ses quelques acolytes fidèles et dévoués. Mais plus souvent encore, cette note d’espoir n’est nulle part en vue à la fin d’un récit dystopique. Bien au contraire, il s’agit peut-être du genre où le bad-ending (la fin triste où le personnage échoue dans sa quête) est le plus fréquent. Allez relire ou revoir la toute fin de certaines œuvres comme 1984, Brazil, Fahrenheit 451, Soleil Vert, Equilibrium et vous vous en rendrez vite compte. Généralement, le postulat final d’une dystopie, c’est que malgré la volonté, l’éveil et la rébellion de certains individus, ce ne sera jamais assez pour renverser un système totalitaire bien huilé et que ce dernier est inévitable pour toute société. Oui, c’est un genre narratif qui peut être assez lourd et pesant« Il a eu une émotion/éducation, déportez-le ! » : on en revient un peu au premier point (tous les points listés ici se répondent plus ou moins entre eux), mais la marque d’un système totalitaire, comme je l’ai dit plus haut, est de transformer ses citoyens en des copies conformes fades et lisses, de simples rouages dans un engrenage démoniaque. Et ainsi, au même titre que l’éducation (Fahrenheit 451), les émotions sont généralement découragées (Never Let Me Go, Bienvenue à Gattaca) voire même chimiquement totalement supprimées (Equilibrium). Et ceux qui sont jugés coupables de l’un ou de l’autre vont généralement disparaître dans la nuit, sans doute déportés (bien que personne ne l’admettra et que tout le monde fera semblant d’avoir totalement oublié la personne) dans un centre spécialisé (et souvent presque mystifié par la population) d’où il ne reviendra jamais (Colony, V pour Vendetta), ou, s’il en revient, il sera totalement changé et lissé (1984).


Image du film Brazil
Le plan final de Brazil. SPOILER : sans doute au panthéon des films à la fin la plus déprimante.




Clive Owen protégeant une femme enceinte dans le film Children of Men
Capture d’écran du film Children of Men (les Fils de l’Homme)

Bien sûr, il est amusant de repérer tous ces tropes dans les histoires qu’on aime, et de les critiquer quand ils sont vraiment trop gros, trop tape-à-l’œil. Mais il faut aussi savoir les accepter et comprendre qu’un récit se doit d’en employer certains pour faire avancer sa trame : après tout, si, au fil du temps, ces éléments sont devenus des standards, des archétypes, c’est qu’il y a une raison. Certains iront peut-être cracher sur une histoire dès qu’elle utilise le moindre lieu commun, mais il faut généralement voir au-delà du trope. Est-ce que l’auteur l’utilise juste pour faire avancer son récit et nous amener ensuite vers des horizons uniques, ou est-ce qu’il s’en sert pour le détourner plus tard ?  Est-ce qu’il s’agit réellement d’un cliché vu et revu ou simplement d’un artifice nécessaire au récit ? Car il faut garder en tête que certains tropes existent car les contourner serait totalement stupide et invraisemblable. Pour donner un exemple précis de ce dont je parle ici, prenons Children of Men par exemple (l’un des films culte de votre serviteur) : lorsque Théo (incarné par Clive Owen) décide de jeter tout son confort par la fenêtre pour s’occuper de la jeune Kee (Claire-Hope Ashitey), enceinte jusqu’aux dents, on est en plein dans l’un des tropes que j’ai listés ci-dessus (le personnage qui voit son monde changer du tout au tout du jour au lendemain et décide de s’engager, de se révolter), mais est-ce que ça aurait été crédible de détourner ce trope ? Peut-être que les plus cyniques et désabusés parmi nous n’auraient rien fait, mais je préfère croire que même les cœurs les plus durs au sein de l’espèce humaine auraient fait le même choix que Théo face à la première femme enceinte depuis près de deux décennies.

Encore une fois, les tropes narratifs sont des armes à double-tranchant, qu’il faut savoir briser quand c’est nécessaire et pleinement embrasser quand le récit le demande. Et c’est sur ces propos que je vais vous laisser, vous souhaiter un bon confinement (si on y est encore quand sort cet article, mais à l’heure où j’écris ces lignes on est en plein dedans) et vous dire à la prochaine pour un nouveau genre ! 😊

Aman
 
Découvrez Aman, le scénariste du Projet CarTylion, il vous raconte son parcours, et son rôle au sein de notre projet transmédia.
Responsable Écriture
 

2 replies on “Tropes narratifs 2 – Dystopies”

    1. C’est un plaisir de voir quelqu’un utiliser le mot « divulgâcher », un camarade dans la croisade contre les anglicismes!
      J’ai moi-même essayé d’inventer des alternatives à quelques anglicismes tenaces:

      – Pour week-end, je propose « samdim » (condensé de samedi et dimanche). C’est l’un des plus tenaces, personne n’utilise « Fin de semaine », c’est trop long. Samdim a l’avantage d’être court.
      – Pour pickpocket, je propose « tire-poche ». C’est simple, intuitif, et même plus court que l’anglicisme (ce qui est rarissime, j’en suis fier)!

      Qu’en pensez-vous?

      3 j'aime
      1. Hahaha Pierre-Yves tu m’as tuée ! Les anglicismes pour moi ça fait partie de la culture française actuelle, j’avoue. Par contre, je dois dévoiler qu’Aman utilise souvent le verbe « réaliser » dans le sens anglais du terme, et que j’arrête pas de le corriger dans mes relectures 😉
        PS : « anglicismes! » est un anglicisme, je te laisse cogiter là-dessus…

        0 j'aime

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