Après avoir exploré les origines et les perspectives d’avenir de la fantasy dans un précédent article, autant continuer de parcourir les vastes territoires du genre et parler de ses icônes et figures majeures. La plus emblématique reste sans doute la figure du dragon, quasi-mascotte du genre, créature incontournable du bestiaire fantastique.
L’image du grand reptile ailé crachant des torrents de flammes se retrouve dans de nombreuses croyances et mythologies, tant dans la culture asiatique, amérindienne ou européenne. Cependant, là où dans la culture asiatique, il sera plutôt symbole de vie, de puissance et de protection, les civilisations européennes le verront plutôt comme le destructeur, le prédateur, une créature maléfique ravageant tout sur son passage.
Il est plus intéressant ici de se pencher sur la vision occidentale du grand reptile car c’est surtout lui que l’on retrouve dans la fantasy et ses traductions les plus notables à l’écran.
Il s’agit, plus spécifiquement de la représentation scandinave de la bête crachant le feu qui domine le paysage fantasy. Et encore plus spécifiquement, son dragon le plus emblématique et primordial : Fafnir.
Selon le conte, Fafnir était originellement un Nain qui, une fois le trésor de son père en sa possession, se changea en serpent pour s’étendre sur son or et le protéger envers et contre tous. Ce passage se retrouve dans le Skáldskaparmál (Edda de Snorri Sturluson, poète Islandais du Xème sièce ayant regroupé et transcrit à l’écrit les récits de la mythologie scandinave). Il s’agit, avec l’Edda Poétique (codex Islandais du XIIIème siècle) de notre principale source de connaissance actuelle de l’ancienne culture Nordique. Traduit de l’Islandais, voici littéralement la première apparition de Fafnir sous la forme du grand reptile :
et Fafnir se rendit à la lande Gnita, et s’y installa un repaire, et se transforma en serpent, afin de se lover sur son or.
L’œuvre de Tolkien, père de la fantasy moderne étant fortement inspirée de la culture nordique, il n’est pas étonnant de déceler de nombreuses similarités entre Fafnir et Smaug, le dragon que Bilbo rencontre et affronte lors de son aventure.
Sous lui, sous tous ses membres et son immense queue et de tous côtés autour de lui, s’étendant partout sur le sol invisible, était entassée une masse de choses précieuses, or travaillé et or brut, pierres et joyaux, et argent, teintés de pourpre dans la lumière rougeoyante.
Voici comment nous est présenté Smaug lors de sa première apparition dans le livre de JRR Tolkien. Il est notable que Tolkien décrit avant tout le dragon par son trésor plus que par ses particularités physiques. Comme si le dragon n’existait que pour son or, comme si son essence même était sa richesse. À l’instar de Fafnir, Smaug protège son trésor, lui aussi est avide d’or et lui aussi est malin, rusé et perfide. Voici comment est né Smaug et avec lui tout le mythe du dragon dans la culture fantasy telle qu’elle existe à présent.
Fort heureusement, le dragon dans la littérature ne s’est pas arrêté à Smaug et de nombreux auteurs se sont réapproprié le mythe jusqu’à en faire une créature extrêmement diversifiée, ne se limitant pas au simple cracheur de feu avare et amoureux de son trésor. Une autre représentation du dragon très présente dans la fantasy : celle du dragon comme monture pour l’humain, comme c’est le cas, par exemple dans Eragon ou Cœur de Dragon.
Puis il y a le dragon sauvage, le dragon animal. Celui-ci est avant tout symbole de destruction et de terreur. Il est le prédateur, il est la terreur. Il est l’ennemi que le brave héros doit pourfendre afin de prouver sa valeur. Le dragon de conte de fées en est l’exemple emblématique : ce fameux dragon qui emprisonne la douce princesse que le prince doit sauver. Celui-ci nous est plutôt hérité des récits et iconographies catholiques du Moyen-Âge où le dragon personnifiait le Malin, le serpent tentateur et mauvais.
Il est le dévoreur de troupeau, le porteur de mort et de désolation, la fureur aveugle et imprévisible.
Mais quel qu’il soit, le dragon reste un symbole de puissance, de longévité et source de crainte et de respect.
Pour en savoir plus sur cette représentation du dragons, je vous conseille la vidéo de Nota Bene à ce sujet :
Il est également impossible (du moins pour moi) de parler de dragons sans mentionner Robin Hobb, auteur du cycle de l’Assassin Royal et l’une des écrivaines de fantasy les plus acclamées de notre temps. Dans son œuvre, les humains doivent apprendre à cohabiter avec les dragons qui reviennent peu à peu au monde après des siècles d’absence (la similarité avec Game of Thrones est en effet présente mais elle s’arrête là tant Robin Hobb fait naviguer son récit vers des eaux bien différentes du Trône de Fer). Dans une interview donnée au site français Elbakin.net, elle nous dit :
Qu’est-ce qui nous arriverait si nous devions admettre, fondamentalement, que les éléphants ont une culture et que les baleines sont intelligentes et que peut-être nous n’avons pas le droit de diriger cette planète comme si nous étions les seuls habitants importants ? Donc je joue avec des dragons qui nous menacent exactement de la même façon dont nous avons traité les espèces qui partagent notre habitat. Je ne veux pas que ça fasse comme si j’écrivais des allégories écologiques ou des romans avec un message. Ce n’est pas le cas. Pour moi, il s’agit toujours de faire tomber tout un tas d’ingrédients disparates dans un bol, de touiller un bon coup et de voir quelle sorte d’histoire apparaît dans les bulles. En mettant des humains et des dragons dans un monde, tous aussi agressifs et arrogants, je vois une infinité d’histoires possibles. Dragon Keeper n’explore qu’une seule des voies possibles.
Il est fascinant de voir exploité ici un autre aspect du dragon : le dragon comme menace non pas sauvage et cupide mais comme menace directe sur la domination humaine de la planète, le dragon comme espèce tout aussi arrogante et agressive que l’humain, ni plus ni moins. Plus tard dans la même interview, il est demandé à Robin Hobb pourquoi les dragons sont aussi populaires dans le paysage fantasy :
Dans différentes cultures, les dragons ont joué différents rôles. Ils peuvent être source de sagesse, symboles du pouvoir de la nature, des bêtes voraces dévorant les jeunes filles ou une force naturelle qui maltraite les humains. Ou une douzaine d’autres rôles. Je pense que nous sommes, comme je l’ai dit plus tôt, une espèce isolée. Donc des histoires racontant un partage de notre monde avec une autre intelligence sont captivantes pour nous. Mais je pense aussi que nous sommes attirés par les créatures de pouvoir, qu’elles soient malveillantes ou bienveillantes.
Robin Hobb confirme ici la symbolique des dragons : ils sont la puissance et/ou la sagesse, mais elle ajoute que le fait que nous, êtres humains sur notre bonne vieille Terre, la dominant sans conteste, sommes fascinés par l’idée d’être un jour défiés par une autre intelligence représentée par le dragon. On peut alors se dire que les dragons jouent dans la fantasy ce que les aliens jouent dans les films d’invasion extra-terrestre : la menace venue d’en haut venant mettre à mal la civilisation humaine.
Le dragon peut être défini comme l’arme de destruction massive la plus répandue de la fantasy. Il est la bombe nucléaire couplée au prédateur absolu. C’est ce concept que nous avons voulu reprendre dans notre univers de 3ème Aube. Les dragons chez nous ne sont pas des créatures (pas d’inquiétude, il y en a de nombreuses autres !), mais un concept que nous utilisons, ou plutôt utiliserons, pour figurer l’une des menaces ultimes de la société.
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3 replies on “Icônes de la fantasy – le dragon”
Je ne connaissais pas l’Assassin Royal, ni Robin Hobb, mais ça m’a donné envie de découvrir 😊
Merci
Robin Hobb est une référence ++ que je te recommande grandement !
Ouais c’est sûr que ce sont des références clefs, personnellement j’ai trois de ses séries de roman : L’Assassin royal, Les Aventuriers de la mer et Le Soldat chamane ; franchement c’est que du bon ! 😉