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Date : 16 mars 2023

10 idées reçues sur la correction

Attention ! Cet article utilise l’écriture inclusive.
Si vous êtes membre de l’Académie française,
votre santé risque d’être mise en grand péril !


Idée reçue no0 : Correcteur·trice, un métier ? Pas possible…

Et pourtant si ! Figurez-vous qu’il y a même des formations réservées à ce seul métier !
Incroyable, non ? Si vous n’en avez jamais entendu parler, ce n’est pas plus surprenant que cela.
En effet, si vous imaginez des « gardiens du temple » de la langue française vénérés comme des grands prêtres de l’Inquisition en toge courte, vous faites fausse route. Les projecteurs se tournent ailleurs, et il est rarissime (encore plus rare que rare, c’est dire) qu’on nomme la ou les personnes ayant corrigé un ouvrage. Des femmes et des hommes de l’ombre, quoi.
Qu’à cela ne tienne ! Les paies peu engageantes, les statuts qui le sont encore moins, l’incertitude des périodes de creux, la solitude du métier, le poids sur les épaules sans la reconnaissance… on a envie de crier : « Fuyez, pauvres fous » !
Rien n’y fait. Virgulite, majusculite, anacoluthite et autres pinaillages en tout genre dont vous ne soupçonnez même pas l’existence sont des addictions pour les obsessionnelles gens que nous sommes. Pourtant, sans ces personnes toutes dévouées à leur besogne, nombre de livres et d’articles de presse n’auraient pas le même aspect…
En quoi consiste le métier ? Le décrire dans le détail prendrait bien plus d’un article et je ne serais certainement pas le mieux placé pour le faire (pour celles et ceux que cela intéresse, je vous conseille vivement le livre de Guillaume Goutte, Correcteurs et correctrices, entre prestige et précarité).

Si je devais donner ma définition, je dirais que la correction est une lutte sans fin, acharnée, au service des textes et des plumes à qui on les doit. C’est surtout un exercice qui demande une concentration élevée au rang de sport extrême, une faute en cachant souvent une autre. C’est encore un écartèlement entre des règles gravées dans le marbre et la créativité, sans limites.
Enfin, pour être honnête, c’est surtout avoir une collection de dicos qui pèsent leur poids et devoir en racheter souvent !


Avant d’aller plus loin, un lexique de la correction :

  • Anacoluthe : Rupture syntaxique dans une phrase
  • Apostrophe mécanique : apostrophe droite, fautive
  • Faux points de suspension : les points de suspension constituent un seul caractère ; si vous écrivez trois points à la suite cela ne forme pas des points de suspension !
  • Faux guillemets : guillemets droits, en français on utilise les chevrons
  • Faux gras/italique : Ce que les traitements de texte comme Word proposent
    Les vrais gras et italique font partie des polices qui les proposent (donc toutes les polices n’incluent pas une version en gras et en italique). Certaines proposent plusieurs graisses !
  • Espace insécable : Une espace (oui, une) qui force les deux éléments de part et d’autre à ne pas être séparés sur deux lignes différentes (« € » ne doit pas passer à la ligne, par exemple)
  • Tirets demi-cadratin : Les tirets d’incise et de dialogue. Le cadratin est une unité standard
  • Bas de casse : Minuscules. Ce mot, comme bien d’autres, vient de l’impression au plomb
  • Div(e) : Désigne le trait d’union
  • Petites capitales : Tout en majuscules, mais à hauteur des minuscules
  • Nombres au court/au long : Le premier est l’écriture arabe, le second, en toutes lettres
  • Ligne veuve/orpheline : Lorsque la ligne d’un paragraphe est isolée en début/fin de page

Idée reçue no1 : Pour être correcteur·trice, il faut être prof de français

Je m’excuse d’avance vis-à-vis des profs de français, mais votre tentative de reconversion facile risque d’être compromise. Loin de moi l’idée de décourager de futur·es collègues ! Malgré tout, il vous faudra plancher aussi dur que les autres, je le crains.

Certaines personnes s’imaginent que le métier est réservé aux fondus de dictées, aux rats de bibliothèque, à cet insupportable membre de votre famille qui guette l’instant où votre langue va fourcher (promis, c’est pas moi)… ces individus à l’imagination fertile ont tout faux.
Attention ! bienvenue dans la réalité de la profession : traquer la moindre coquille, veiller à la cohérence interne d’un texte, s’attarder sur le registre, la concordance des temps, italiques, pas italiques, guillemets ou tirets ou les deux ; apostrophes mécaniques, faux points de suspension, faux gras, faux italique, faux guillemets, faux, faux, faux ! Pardon, excusez-moi, c’est que je ne vois pas beaucoup la lumière du jour en ce moment. Nous disions donc : espaces insécables, tirets demi-cadratin, bas de casse, « div », petites capitales, thomaseries, nombres au court, au long, veuve, orpheline…

Il vous cause comme ça, votre prof ? J’espère que non, pour votre bien !


Texte Memento des signes de correction
Extrait du Lexique des règles typographiques en usage à l’imprimerie nationale

Plus sérieusement, il s’agit en fait d’une attitude, d’une disposition d’esprit à adopter. Quelle attitude ? Du calme, du calme, j’y viens ! On va appeler ça les trois « d » : douter, douter et, ça va vous surprendre, douter.

Idée reçue no2 : Ce métier sert plus à rien, il y a le correcteur automatique !

Alors, je l’aurais pas dit comme ça, mais je vois ce que vous essayez de me dire.
Avec le sujet brûlant des Intelligences Artificielles à la ChatGPT, les nouvelles technologies n’ont pas fini de faire parler d’elles.
Le danger qu’elles représentent pour les métiers de la création et celles et ceux qui en dépendent est à la fois bien réel et légèrement fantasmé. Je m’explique. Très loin de moi l’idée de relativiser les scandales liés aux œuvres d’artistes dont la propriété intellectuelle a été mise à mal par l’IA à la mode.
En revanche, appliqué à la correction, le danger est relatif : si des outils tels que ProLexis et Antidote servent d’argument à certaines maisons d’édition plus intéressées par leur chiffre d’affaires que par la qualité de leur fonds, force est de constater que ces logiciels (bien que bien plus performants que votre correcteur automatique habituel) restent très limités quand ils ne sont pas entre les bonnes mains.

Bien sûr, l’humain a ses failles ! Et elles sont multiples : fatigue visuelle, subjectivité, mauvais réflexes (d’où l’intérêt de douter sans arrêt), différents niveaux de lecture simultanés, pression due au respect des échéances, etc.

Pourtant, sur le ring des gens à lunettes, c’est bien l’humain qui éclate la machine ! Cette dernière est certes infaillible dans ce qu’elle sait faire (et encore), mais elle ne peut pas dépasser ses propres limites. Son adversaire, quant à lui, saura bien mieux analyser un texte à la lumière de son contexte, et ne cassera pas le style d’un auteur ou d’une autrice sous le seul prétexte « qu’on dit pas comme ça ».

Idée reçue no3 : Vos corrections rendent tout « plan-plan »

C’est une image que la profession traîne comme un boulet, nous serions des dictionnaires sur pattes sans âme qui ne se sentiront satisfait·es que lorsque le texte qui a eu le malheur de tomber sur nous sera intégralement recouvert de rouge (comme pour ranimer cette vieille peur du prof sadique qui vous poursuivra jusque dans votre sommeil une fois adulte, mouahahaha…)
C’est un vrai point de débat, faut-il laisser des tournures fautives, pour préserver à tout prix le style ?
Ou, au contraire, faut-il trembler devant la moindre tentative de licence poétique ?
Corriger n’est pas détruire ! Corriger, c’est plutôt consolider, accompagner, porter. Non, pas de pères fouettards, pas de style « plan-plan », un simple dévouement pour les textes.

Idée reçue no4 : À l’Académie française allégeance éternelle tu jureras !

Caricature de Soulcié avec un académicien qui dit "Nous avons abaissé l'âge de départ à l'immortalité à 75 ans seulement !"
Caricature de la jeunesse des membres de l’Académie française

La typographie n’est pas une petite jeune avide d’explorations et de révoltes, elle ressemble plus – de loin, en tout cas – à une vieille dame austère qui a tout vu et regarde sans arrêt en arrière.
Les académiciens (ou « les dinosaures », pour les intimes) ne sont pas connus pour leur progressisme ; leur opposition à la « féminisation » des professions est bien connue (alors que le féminin de nombreuses professions existait déjà avant que les métiers soient « masculinisés » au xviie siècle…).
De l’autre côté du miroir, il y a la linguistique. N’étant ni un grand spécialiste, ni un adepte des colloques interminables, je vais faire simple : en gros, l’oral passe avant l’écrit quand on cause évolution de la langue. Cette réalité (qui n’est pas une question de point de vue) ne plaît pas, mais alors PAS DU TOUT aux « dinosaures » ! En effet, cela revient à admettre, puisque les règles de typographie portent sur la langue, que, je cite une des correctrices qui m’a formé : « la typo, c’est la rue ».
Il faut être honnête, la typo est encore loin d’être « la rue » ; en revanche, l’Académie ne fait pas la loi. Notre travail consiste à être autant au fait des règles d’usage vieillissantes que de toutes les évolutions qui feront les règles de demain !

Idée reçue no5 : Le langage inclusif n’est pas applicable

C’est un sujet assez spécifique, mais très actuel, et qui concerne de près la correction. En plus, à chaque fois que le sujet est abordé, il paraît qu’un académicien brûle, je reste dans le thème précédent.
La question idéologique compte, mais les réacs en tout genre se cachent quasi systématiquement derrière le même argument : « c’est trop compliqué », « on peut pas l’appliquer ». Brisons la glace :
le langage inclusif n’a pas vocation à concurrencer l’Académie ou à être une « alter-Académie », ce n’est pas un ensemble de règles définies, figées, c’est un outil issu du monde militant dont l’unique but est de ne pas laisser des gens sur la touche et même, peut-être, de participer un peu à leur émancipation, car exister, pour certaines personnes, c’est déjà résister.
L’outil en question n’est donc pas une marche à suivre, c’est une volonté. De nombreuses pistes ont été trouvées, certaines, comme on l’a vu, existant déjà bien avant que « le masculin l’emporte sur le féminin ». Une partie d’entre elles disparaîtront et d’autres apparaîtront, aux correcteurices la lourde tâche d’allier cohérence et respect de ces nouvelles formes d’écriture.

Pour aller plus loin, lire Éliane Viennot, Le langage inclusif : pourquoi, comment.

Idée reçue no6 : Un texte = une seule correction valable

Cette idée est fausse pour plusieurs raisons.
Il y a bien des règles communes, certes, mais il y a aussi des supports différents. Ainsi, un texte de polar ne peut pas être traité de la même façon qu’un poème, qu’un article de presse, qu’un essai, etc.
Mais le bouchon est poussé encore plus loin : de nombreuses maisons d’édition et organes de presse possèdent ce qu’on appelle une « marche maison », c’est-à-dire une approche propre de la typographie.
Il faut donc s’adapter à chaque approche !
À cela viennent s’ajouter les dictionnaires et les livres qui font référence sur l’usage de la langue ; ce serait bien trop beau qu’ils se mettent tous d’accord ! Non, les dicos ne crient pas toujours à l’unisson, et les guéguerres souterraines de grammairiens sont légion !

Idée reçue no7 : La réforme de l’orthographe tu appliqueras

NON !
En 1990, en France, l’éducation nationale, peut-être elle aussi pour faire brûler quelques académiciens (voici la réaction, qui en dit long : https://www.academie-francaise.fr/sites/academie-francaise.fr/files/rectifications_1990.pdf), s’est dit qu’il fallait simplifier la langue.
La langue française étant une des langues les plus tordues qui soient, on peut se dire que ça part d’une bonne intention…
Oui… sauf que cette réforme, de manière générale, a un sacré défaut : dans le but de simplifier, on se retrouve avec des tas et des tas d’exceptions aux règles qui étaient déjà là.
Et, non seulement les grammairiens ne s’y retrouvent plus, mais, l’épreuve du temps l’a montré, l’usage (les gens, quoi) n’a majoritairement pas intégré les propositions de cette réforme lui non plus.

Gouvernement = 0/tous les autres = 1.

Résistant encore et toujours à la typographie, il y a malgré tout quelques manuels scolaires (logique) qui respectent la réforme de 1990, mais plutôt pour le primaire.

Autrement dit, les profs l’appliquent si l’envie leur prend et elle est enseignée aux élèves par le biais du « vous pouvez écrire des deux façons », avant de tomber dans l’oubli quelques années plus tard.

Caricature La réforme de l'orthographe divise l'opinion "Nous n'accepterons cette réforme que par la force des baïonnettes !" "Ils utilisent des mots avec tréma et double consonne ! Bon sang ! Ils se sont radicalisés !"
Quand la simplification divise l’opinion
Caricature de la réforme de l'orthographe "Et ben ! Tu pleures ?! C'est les ognons."
Certaines formes issues de la réforme n’ont jamais su s’imposer

Idée reçue no8 : Il n’y a pas plus solitaire, comme métier

Il y a une grande part de vérité dans celle-ci. C’est vous avec le texte, et rien d’autre.
Sauf que ce n’est pas tout à fait vrai, et il y a une grande différence entre la presse et l’édition.
Commençons par la presse (ici on parle davantage des rédactions généralistes, et non des magazines spécialisés) : contrairement à l’édition, les rédactions de presse quotidienne (Le Monde, Le Figaro, La Croix, etc.) ont toutes un service de correction sur place, composé de plusieurs personnes. L’exception était Libération, la première rédaction à s’être débarrassée de ses correcteurs et correctrices, en 2007, avant d’être imitée en 2020 par Les Échos. La présence sur place avec des collègues, et aux côtés de journalistes, rend le travail des « réviseurs » (leur nom en presse) animé et collectif !
Quant à l’édition et au travail à domicile en général, le statut d’ermite n’est pas volé.
Toutefois, personne n’est vraiment seul·e, puisqu’il y a quand même un échange (plus ou moins fourni) avec les différentes professions de la chaîne du livre, surtout celles directement concernées par le travail de correction (éditeur·trice, auteur·trice, maquettiste).

Idée reçue no9 : Une seule lecture et c’est plié !

Non et re-non.

On a vu que, selon les secteurs, l’appellation du métier variait : les « rédacteurs-réviseurs » en presse généraliste, mais aussi « correcteurs SR » en presse spécialisée ou régionale (SR signifiant « secrétaire de rédaction », il s’agit en fait de la fusion des deux métiers), ou encore « recherchistes » pour la télévision. Votre cerveau fume déjà ? Pas de pot, c’est pas fini !

Dans l’édition, on distingue 2 types de professionnel·les de la correction, qui correspondent à 2 étapes :

  • La préparation de copie, avant que le texte soit maquetté, où l’accent va être mis sur la vérification des informations, la fluidité, la cohérence interne du texte. Bien sûr, il n’est pas question de laisser passer les grosses fautes, mais le boulot nécessite surtout de s’imprégner du style et de le questionner.
  • Les corrections sur épreuves, une fois que le texte est maquetté. Là, plus le temps pour des vérifications poussées ; l’orthographe, les règles de typographie, le décoquillage et les ajustements de mise en forme sont les priorités.

Est-ce que chacun·e se contente d’une lecture pour autant ? Ce serait trop simple…
Bien que le temps ne le permette pas toujours, une correction demande en théorie 2 lectures minimum. Avec l’expérience, il est possible de n’en faire qu’une, mais l’idée est que cela permette plusieurs niveaux de lecture (une pour le sens, une pour l’orthographe et la typographie, par exemple).

Idée reçue no10 : Un job « à la cool » ?

Décidément, j’ai le chic pour plomber l’ambiance !
Les métiers dits « intellectuels » ont souvent cette réputation, autant dire que les métiers du livre y échappent rarement. L’image médiatique construite autour y est pour beaucoup :
les écrivain·es et les libraires vivent d’amour et d’eau fraîche (vous savez, le fameux « métier passion »), et les bouquins se fabriquent tous seuls, comme par magie. La correction, comme beaucoup d’autres professions de la chaîne du livre, fait partie des coulisses. Et les maisons d’édition sont parfois prises de trous de mémoire quant aux raisons de la qualité de leurs ouvrages. Alors on fait des économies, parce que la novlangue de com’ rapporterait plus que le bouquin lui-même…
En plus d’exercer un métier mis en péril par l’argument « sous-sous », si vous êtes en quête d’un boulot à siestes, passez vite votre chemin !
Corriger est une belle activité, en laquelle on croit profondément, mais cela demande une concentration intense, continue. On ne lit pas un texte qu’on corrige comme on lirait pour le plaisir !
Autant dire que l’ambiance est plutôt studieuse…
Par ailleurs, métier « intellectuel » n’exclut pas les complications physiques liées au travail sur écran.
Enfin, la correction ayant le statut de dernier maillon de la chaîne, vous n’avez pas non plus le temps de vous tourner les pouces, c’est sur votre corde qu’on va tirer pour rattraper les retards de publication.




Attendez, ne partez pas !

Le portrait est un chouilla sombre, « c’est pas faux » (comme dirait un philosophe du nom de Perceval), mais les correctrices et correcteurs savent aussi s’amuser !
Venez à un de nos « À la » et vous verrez !

Rougeplume correcteur stagiaire, inspiration Les Inconnus

Le relecteur du Projet CarTylion : une personne indispensable pour que tous nos contenus soient clairs et nets !
 

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